Trois cent trente ans après sa création, le plus anglais des opéras baroques, et le premier parmi eux,retrouve sa terre et ses origines imaginaires.
Une brise, presque marine, surprenante soufflait sur les pierres du colisée d ‘El Jem, ce soir du mardi 6 août. Un vent chaud, méditerranéen qui a conduit, au cœur de l’antique Thysdrus, l’un des mythes fondateurs de Rome «Enée et Didon». Pour l’avant-dernière soirée de cette 34e édition,la scène du Festival international de musique symphonique d’El Jem a accueilli la première création de l‘opéra” national tunisien ,en coopération avec l’Institut culturel italien en Tunisie, l‘opéra baroque “Didon et Enée”.
L’opéra composé par Henry Purcell en 1689, sur un texte de Nahum Tate, est interprété par l’Orchestre et Chœur de l’Opéra de Tunis, sous la direction de Hichem Amari, avec les danseurs du Ballet de l’Opéra de Tunis et une chorégraphie de Luca Bruni.
Trois cent trente ans après sa création, le plus anglais des opéras baroques, et le premier parmi eux, retrouve sa terre et ses origines imaginaires.
En effet, la tragédie est “tunisienne”. Enée, perdant sa guerre et chassé de Troie par les Grecs, se réfugie à Carthage où “ Didon”(Alyssa ) régne en maîtresse absolue. Enée et Didon tombent amoureux, mais les dieux désapprouvent l‘union et poussent Enée à partir vers son destin: celui de fonder l’empire romain. Abandonnée et trahie ,Didon met fin à ses jours, et laisse pour testament à son peuple la vengeance contre Rome.
L’histoire, comme toute les opéras lyriques et les histoires d‘amour, finit mal au bout de 1 heure et trois actes.
La mise en scène surprend dès le début du premier acte qui s’ouvre sur un tableau de danse, moderne, joyeuse. Tout y est pour dire la fraîcheur, l’impulsivité des danseurs, le minimalisme des décors, les couleurs vives et parfois pailletées des costumes. La musique ne s’écarte pas du répertoire baroque,mais l‘interprétation à la fois juste et ensoleillée des solistes Nesrine Mahbouli (Didon) Et Stefano Tanzillo (Enée) Blerta Zhegu (Bélinda) ainsi que du chœur de l ‘opéra de Tunis, signe la trace de la direction du jeune et talentueux Hichem Amari.
L’acte voit l’amour naître et triompher des différences et du devoir politique de chef d’Etat. A Carthage dans son palais de la reine Didon, d’abord accablée d’un amour secret et interdit, pour un prince troyen déchu, céde à la voix du coeur et aux conseils de Belinda, sa confidente, qui l’exhorte à retrouver la joie et à accepter l’amour. Énée se déclare à Didon et jure fidélité à elle et à Carthage.
Acte II, plus sombre,presque inspiré de la «réalpolitik», s’éloigne de la lumière de l’amour. Dans une grotte lugubre, une «prêtresse» fomente, avec son armée de sorciers, la destruction de Carthage et la ruine de Didon. Le messager maléfique ordonne à Énée de partir pour accomplir son destin : fonder Rome, la nouvelle Troie. Énée, déchiré, Énée se décide à quitter son amour.
Le troisième acte où la danse est plus vive, plus violente se clôt sur une mise à mort,le suicide de Didon et son testament à son peuple: vengeance ! La fatalité est désormais le principal éclairage du port de Carthage qui a vu naître l’Amour d’Enée et Didon et sera témoin de la fin tragique. Trompée, Didon s’abandonne à la mort alors que les sorciers fêtent la chute de Carthage et que les marins troyens reprennent la mer, sans regret, embarquant Enée.
Un spectacle d’ une grande modernité malgré la fidélité à l’âme baroque et ses 330 ans d’âge. La direction de Hichem Amari, la chorégraphie de Luca Bruni et la direction du chœur de la jeune pianiste Nesrine Zemni. L’opéra traverse le temps et est traversé par les piliers de la tragédie : la passion, le sacrifice, l‘amour déçu et le sens de l’honneur et du devoir. Il est ponctué de modernité, de scènes acrobatiques sur fond de musique baroque et de chants interprétés avec une grande justesse. Musiciens, choristes et danseur ont insufflé fraîcheur et jeunesse à ce répertoire exigeant et pointu du baroque. Les performances de danse moderne et classique, mais aussi d’acrobatie ont magnifié ce chant antique. Les costumes de Mamia Ben Yahia et Mario Ferrari et le décor de Hassen Sallami (Centre national des arts de la marionnette) ont apporté une part de glamour et d’humour à cette tragédie lyrique.
Le lamento final” Remember me”en guise de testament royal a bouleversé et ému le public peu nombreux, mais majoritairement initié et comblé par le spectacle.
Didon et Enée, opéra tuniso- méditerranéen baroque et moderne, est plus qu’une histoire d’amour tragique, une métaphore possible des équilibres dans le jeu éternel du pouvoir de l’amour et du désir.
Le cadre du colisée d’El Jem, son plein air et la solennité de ses pierres ont sublimé l’opéra malgré quelques contrariétés sonores. Mais l’opéra semble s’inscrire naturellement dans le lieu malgré la simplicité des décors et de la scénographie. Le vent a certes soufflé fort ce soir-là à El Jem, mais il y avait sa place pour faire entendre le souffle de la créativité naissante, et des corps du jeune ballet de l’opéra de Tunis.
Mourir à la plaie pour renaître à la trace, c’est ce que semble dire ce mini-opéra d ‘une heure, puissant, intime et intense, longuement applaudi et qui augure le meilleur pour le jeune orchestre et le chœur de l ‘opéra de Tunis.